samedi 22 novembre 2008

Faire la bombe.

* Vous vous rendez compte qu'il ne reste plus qu'un épisode avant la fin de The Shield? La fin-fin, la vraie fin, vrai de vrai, 45 minutes left, ensuite c'est perpét' sans immunité. Si on ajoute à ça que la saison ultime n'a commencé réellement que depuis 4 épisodes, on atteint un niveau de frustration assez crispant.

* Mais quelle récompense, putain, que cet épisode 12, cette tension invraisemblable, il y a bien sûr cette pause, ce silence au cœur de l'épisode, silence terrorisant, véritable jeu de bonneteau scénaristique, j'ai immédiatement pensé aux phrases de Hitchcock à propos du suspense, précisément à la bombe planquée sous la table, vous savez ces célèbres phrases : "La différence entre le suspense et la surprise est très simple. Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette table et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial, et tout d’un coup, boum, explosion. Le public est surpris, mais avant qu’il ne l’ait été, on lui a montré une scène absolument ordinaire, dénuée d’intérêt. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table et le public le sait, probablement parce qu’il a vu l’anarchiste la déposer. Le public sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu’il est une heure moins le quart - il y a une horloge dans le décor ; la même conversation anodine devient tout à coup très intéressante parce que le public participe à la scène. Il a envie de dire aux personnages qui sont sur l'écran : "Vous ne devriez pas raconter des choses si banales, il y a une bombe sous la table, et elle va bientôt exploser." Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au moment de l’explosion. Dans le deuxième cas, nous lui offrons quinze minutes de suspense."

* Bon pour ça c'était évident de toute façon, difficile de n'y pas songer, nous sommes vraiment autour d'une table, et il y a le tic-tac de l'enregistreur, et un suspense monstrueux, et ce silence, bien sûr, ce silence qui prépare la détonation. Le truc fascinant c'est qu'ici le personnage est lui-même la bombe, et les victimes, les dommages collatéraux comme on dirait à la guerre, tomberont autour comme des mouches, la bombe n'a pas besoin d'exploser, la bombe est boom-proof, elle sortira la tête haute et le sourire en coin, ce sont les autres qui explosent, ou plutôt implosent, Claudette immédiatement, mais tous, "vous savez ce que venez de me faire?" // "j'ai fait bien pire". D'ailleurs, Hitchcock toujours, sur Sabotage : "C'était une grande erreur. La bombe n'aurait jamais dû exploser... Si l'on produit une telle tension chez le public, l'explosion devient extraordinairement décevante." La bombe n'a même pas besoin d'exploser...

* On peut aussi, ressentant cet improbable syndrome de Stockholm qui rend Vic humain, qui fait qu'on l'aime envers et contre tout, malgré tout, malgré tout ce qu'on le déteste aussi, on peut aussi de fait songer à cette autre phrase bombesco-hitchcockienne : "Mais il y a aussi une très grave erreur de ma part : le petit garçon qui porte la bombe. Quand un personnage promène une bombe sans le savoir comme un simple paquet, vous créez par rapport au public un très fort suspense. Tout au long de ce trajet, le personnage du garçon est devenu beaucoup trop sympathique pour le public qui, ensuite, ne m'a pas pardonné de le faire mourir lorsque la bombe explose avec lui dans l'autobus. " Sauf qu'ici Vic sait qu'il est cette bombe, c'est à la fois son drame et sa force, et ici encore, un peu comme hier pour le Roxbury, un plan, un affect, condense, cristallise, fossilise ---comment dire???--- allez j'ose xénocristallise un cristal d'humanité dans cette pierre noire et dure qui façonne Vic et dont on était pourtant prêt à jurer qu'elle ne s'éroderait plus, ce sont ces larmes rentrées, repoussées de son énorme paluche au fond de ses orbites, ce minuscule moment de suspension, de déconnexion, de soulagement, ce silence-là, sans doute plus encore que l'autre silence évidemment marquant de l'épisode (je parle de ce silence de mort à la table), ce silence-là au téléphone, cette perte-là, cet abandon-là, fait oublier la machine de mort qu'était devenu Victor Samuel MacKey, la machine sans moteur autre qu'un machiavélisme malade et génial qu'il était devenu, et même les sept premiers épisodes de cette ultime saison dans ce silence se justifient : ils menaient à cela, à ce que Vic se redévoile, une seconde durant, homme malgré tout, malgré cette robotisation, ce devenir machine-là, cette mise en chaîne...

* Un tel plan par conséquent, bien plus que de tout ce qui a pu tisser la série, bien plus que tout le background pour dire vite social et policier et politicien et en- et hors-la-loi, un seul plan de larmes contenues, de réaffirmation de la persistance de l'homme, de sa subsistance en extrême souffrance, sous le système capitaliste et clanique et de loi et d'ordre et de violence et de contre-violence, recèle une puissance politique telle que je ne suis pas prêt d'en revenir.

Aucun commentaire: