samedi 1 août 2009

O sole mio, la tête en bas, dans l'nez les doigts.

* Très pratique, dans Dr House, d'avoir un personnage principal tellement compendieux (mot compte triple au dictionnaire des synonymes de Caen) qu'il passe son temps, avant chaque coupure pub, à résumer les enjeux et relancer la machine narrative. Bizarrement, les coutures scénaristiques sont méchamment voyantes mais ça ne me gêne pas, ce n'est pas un problème, c'est une annotation de musique dirait-on, comme une dramatisation pointée sur une partoche, cette preuve de plus que dans l'ultra-contrainte télévisuelle, l'écriture américaine se faufile comme la souris farouche dans le bordel de mon appartement. D'où vient cela, que certaine lourdeur de dialogue, certains verrouillage thématique et convention d'écriture archétypique appuyée comme un tampon sur un document administratif, ne m'effarouchent pas plus qu'un moustique quand il s'agit de l'écriture américaine sérielle, standardisée dans sa rythmique et sa résolution en forme de garantie de bonne fin (remember this?) ? Alors que chez Amaouche, par exemple, au pif hein, l'écriture appliquée par exemple du dialogue final "le vilebrequin remarche", ce symbole lourd qui ploie les lignes de la portée et fait tout baisser d'au moins un octave (ouais, je file ma métaphore, t'as vu?), me plombe partiellement un film qui pourtant me touche? Comme je disais à L. pas plus tard que tout à l'heure avant qu'elle file à Ré (ouais, encore la métaphore musicale!!!), dans Adieu Gary, mieux vaut le dernier plan (bel au revoir accueillant, en sa Maison du peuple) que la dernière réplique, alors que dans Dr House, c'est bien souvent l'inverse, le dernier plan étant souvent meulant et au ralenti, dans une gerbe un peu dégoulinante de violons moralisants. Alors quoi? À quoi ça tient?

* Hypothèse de travail, puisqu'en attendant je flemmardise : en ce que les archétypes d'Amaouche sont des archétypes naturalistes (l'ado autiste à valise étant le pire), alors que ceux de Dr House n'ont aucun souci de l'être, ou plutôt aucune nécessité de l'être. J'extrapole et je m'en fous : c'est presque une question de culture, dans le sens d'héritage culturel. Amaouche doit s'extirper du naturalisme, d'une tradition franco-française, tandis que dans Dr House cette étape est inutile. Amaouche doit dire : d'accord, je viens (quand je dis "je", je pense surtout : les nécessités et arguements de "ma" mise en production, pas d'un "cogito ergo sum" d'Amaouche, hein) un peu de Kechiche (aka l'esclavagiste, je me comprends) et de Jaoui-Bacri, mais je vais à moi. Dr House vient de quoi? D'Urgences? Des Experts? Il vient de la télévision américaine, ça lui suffit. Amaouche, lui, passe du temps, bien contraint de le passer, à dire : je viens du cinéma français mais je peux aller ailleurs. C'est aussi ce qui rend son film beau comme in extremis, c'est aussi ce qui pèse sur sa mise en scène et l'oblige sans cesse à se délester, à s'adoucir, à se faire légère, à respirer à pleins poumons sous la belle lumière d'été de Collardey, et c'est aussi ce qui rend ses exploits réguliers d'autant plus remarquables.

* Après, on peut aussi se souvenir de Dernier Maquis et se dire que, décidément, RAZ n'est pas n'importe qui, qu'il ne faut pas oublier RAZ. Mais il ne faut pas négliger non plus le souvenir de Wesh, wesh, qui vient aussi du cinéma français, Wesh, wesh avait aussi à voir avec ce naturalisme dont Adieu Gary prévient qu'il veut s'arracher ; ce que RAZ a fait de sacrée manière. Allons-y, allons-y, la voie est ouverte! Vite.

* Amusant, parlant de ceci, ce que signifie, ici, en France, tenter d'écrire un sitcom (pensée au passage à Bob, Liam et Dan, sous la houlette du Guigui). Quand aux USA on a eu Seinfeld, quand on a connu une prise de la Bastille de cette envergure, on sait d'où on vient, et l'on fait 30 Rock sans avoir à prouver. Ici, quand avec Gwen on essaie d'écrire "ES,W." , "on" (un "on" indéfini pour l'instant, éprouvé l'autre soir à un repas, et tout à fait prévisible) nous demande, et notre propre écriture avec, d'où l'on vient. (J'ignore pourquoi, avec Simon, quand on écrivait Sirté-Baja (toi, producteur de TV ambitieux qui croit au format série, écris-moi, je te le fais lire quand tu veux) on n'avait pas eu à se le demander, on avait eu cette chance de réussir à ne se situer nulle part, donc strictement chez nous. Sans doute parce que Simon ne vient pas de là, qu'il vient de la littérature, et pas tellement de la littérature française si je ne m'abuse.)

* On combat donc la France qui vient dans notre plume, je crois que CdZ avait déjà écrit ça une fois, ou à peu près. De la même manière que certains dessinateurs BD, notamment un dont m'avaient parlé Simon et Pablo, tentent de combattre la France qui vient dans leur trait (en vain dans ledit exemple, pour l'instant, à mon avis). Vous vous souvenez de ce strip de James et la Tête X, tellement vrai? Eh bien ici c'est la même chose adapté à l'audiovisuel, sauf qu'il faudrait se retaper à nouveau sur les doigts ensuite, n'être ni dans la naphtaline, ni dans l'approximation tremblée (et je crois humblement qu'on peut commencer à en dire autant de la plus si nouvelle bande dessinée française). Américanisation à tout prix, gnagnagna? Évidemment non. J'ai envie de dire bien au contraire : renationalisation, réappropriation de l'outil de travail. Wéééé. Quoi l'expression est idiote? Peut-être... Elle est à penser, non? CdZ, je veux dire, a par exemple tout à fait raison dans ses vieux billets où il explique quels endroits, quelles choses proches de nous, il faudrait filmer, sont à filmer, sont à raconter, et ne le sont actuellement pas (le cinéma d'Amaouche commence par l'expression de ces lieux et c'est déjà remarquable). Et quand je lis ce que peut écrire L. en ce moment, 9RDP, je vois que c'est faisable, que c'est peut-être cela que je veux dire par renationalisation par la fiction, et que ça a à voir avec Adieu Gary en somme, que c'est possible. Mais que c'est très dur, par manque d'usage, par manque d'habitude, là aussi il faut se fracasser les mains et bien comprendre que c'est du boulot et que personne ici ne te pousse au cul pour ça, qu'il faut être ton propre script-doctor, qu'il faut constituer des micro-poules (c'est bien ça l'orthographe? ou alors c'est tricoter des pulls?) d'auteurs à deux, trois, ou quatre pas signés, pas payés. On court après le fonds d'inno, on le décroche en se persuadant qu'on n'est pas des mercenaires. Et faire mine de ne jamais se souvenir que le fonds d'inno est versé disons à perte, que rien de concret n'en sort pour le moment. Mais toujours y croire. Se dire qu'on est récompensés en effet pour l'innovation, vraiment pour ça, mais admettre qu'ensuite on est recruté pour ne pas innover (beaucoup de vieux camarades titulaires du fonds d'inno se sont faits remarquer de la sorte et bossent dans la tiédeur cadavérique de la TV française, sur des trucs dont on oubliera bientôt le nom, ou dont on connaît le nom pour les mauvaises raisons). Nous, avec Simon, on avait donc écarté le recrutement, à l'époque. Et ce serait à refaire, on en ferait autant.

* Des fois on peut se dire que c'est vain.

* Alors, en attendant, on peut faire des films.

* Ou se barrer, comme le fait Simon, comme le fait Pablo. Je sais qu'ils écriront.

* Mon laid ennui de Levallois, tu as vu comme je t'ai tué? Y'a plus qu'à étouffer la saudade avec. C'est moins facile.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Et il y a pas de tradition américano-américaine ?

GM a dit…

Expliquez-moi, Anonyme.

Anonyme a dit…

"Amaouche doit s'extirper du naturalisme, d'une tradition franco-française"

Y'a pas de tradition américano-américaine ? Nul naturalisme (au sens de : quelque chose de non-questionné) dont il faudrait là-bas s'extirper ?

GM a dit…

je veux bien vous croire, mais expliquez-moi lequel pour cela.

'33 a dit…

je suis assez d'accord avec ce que tu écris sur Adieu Gary.

Tu poses une question complexe, à la limite, c'est meme la seule qui vaille d'être posé : comment fait-on du cinéma en France quand 90% de ce qui y est produit nous dégoute ?

Combattre la France qui vient dans notre plume ? Oui, mais, comme tu le dis, seulement à condition de la repeupler par une autre france, minuscule (peut-être). Sinon, welcome Europa (corp)

Bonne chance.

lucabrasi a dit…

intéressante ton hypothèse.

Anonyme a dit…

Dommage.

Gwennaël a dit…

On écrit "pool" ce me semble...

GM a dit…

mais alors on s'y noie?